Perte de poids ne veut pas dire être en santé
Dans notre premier article à propos du lien entre le poids et la santé, nous avons traité
de la notion de «poids santé» et ce que la science disait sur l’indice de masse corporelle
(IMC). Pour continuer, nous abordons les limites des études scientifiques sur la perte de
poids et les impacts concrets de l’approche centrée sur le poids. Pour cet article,
plusieurs revues de la littérature scientifique ont été consultées; vous les trouverez à la
fin.
En science, pour établir les faits, il faut se baser sur des études scientifiques (qui
mettent à l’épreuve une hypothèse à l’aide d’expériences et/ou d’observations sur le
terrain). Si vous cherchez dans les bases de données des études concluant qu’une perte
de poids améliore la santé, vous en trouverez, mais plusieurs d’entre elles ont des
limites dans leur conception et leur méthodologie.
Les études et leurs limites
Les études scientifiques mettant à l’épreuve l’hypothèse que la perte de poids améliore
la santé ont des méthodologies assez variées. Certaines proposent une intervention (ex :
suivre un régime) alors que d’autres observent sans intervenir, certaines ont quelques
dizaines de participants alors que d’autres en ont plusieurs dizaines de milliers (4) et
certaines proposent un tel régime alors que d’autres, un tel autre. Les indicateurs de
santé mesurés diffèrent également d’une étude à l’autre : le cholestérol sanguin, le
sucre sanguin, la tension artérielle, etc. Or, toutes ces variantes influencent les
conclusions que l’on peut tirer et peuvent rendre difficile la comparaison des études
entre elles.
Outre la variabilité, l’élaboration et l’analyse des études présentent certaines limites
non-négligeables:
- La durée : plusieurs études durent moins d’un an : la perte de poids est-elle
maintenue après un an? Et les améliorations de santé? Comme professionnel de
la santé, il convient de proposer une intervention qui améliore la santé sur le
long terme. - Les abandons : plusieurs participants abandonnent prématurément sans être
toujours pris en compte : pourquoi quittent-ils? Dans les études plus long terme
(4 ans ou plus) d’une revue de la littérature consultée (2), le pourcentage de
participants se présentant au rendez-vous de suivi est en moyenne de seulement
33%… - Le maintien : la perte de poids, parfois assez limitée (quelques kg), n’est souvent
pas maintenue pendant l’étude, même si elle est de courte durée. Dans celles de
plus d’un an, en général, plus le temps s’écoule, plus les kg se reprennent.
Si nous cherchons à prouver que c’est la perte de poids elle-même qui améliore la santé,
il faut s’assurer de prendre en compte les autres variables qui peuvent influencer cette
dernière. Malheureusement, plusieurs études en font abstraction dans l’analyse de leurs
résultats. Voici quelques-unes des variables en question :
- Les habitudes de vie : la composition du régime et l’activité physique proposées
dans l’étude peuvent avoir un impact sur la santé des participants peu importe le
poids. Par exemple, si les participants ont à manger plus de fruits et légumes,
seul ce changement peut diminuer leur risque de souffrir de maladies
chroniques… - La discrimination, dont la grossophobie : plus les gens ont un poids élevé, plus ils
souffrent de grossophobie, qui influence négativement la santé
indépendamment de l’intervention. - Le statut socio-économique et le soutien social influencent le niveau de stress
et la santé. Avoir un meilleur soutien social aide à avoir une meilleure santé.
Bref, le lien entre poids et santé étant très complexe, la recherche ne nous permet pas
jusqu’à maintenant de prouver hors de tout doute que la perte de poids à elle seule
améliore la santé et l’améliorera sur le long terme.
L’approche basée sur le poids
La majorité des études prennent en compte l’impact physique de recommander la perte
de poids, mais se questionnent peu sur certains impacts concrets dans le quotidien des
gens. Plusieurs professionnels de la santé adoptent une approche basée sur le poids,
c’est-à-dire visant à ce que leurs patients soient à leur « poids santé », avec de très
bonnes intentions, mais cette intervention peut avoir plusieurs impacts négatifs.
Cela est vrai en particulier lorsque l’intervention amène la personne à rechercher une
perte de poids trop grande. Chaque corps a un intervalle de poids auquel il est
naturellement créé pour être (appelé poids naturel). Ce dernier peut se situer hors de la
catégorie d’IMC du «poids santé» et est déterminé par une longue liste de facteurs,
dont la génétique, les médicaments utilisés, l’environnement socio-économique,
l’alimentation, l’activité physique, l’historique de restriction et bien d’autres.
Lorsque le corps maigrit au point de sortir de son intervalle de poids naturel, il fait tout
en son pouvoir pour le ramener (comme un thermostat) : faim augmentée, envies
d’aliments plus riches, compulsions (excès alimentaires), insomnie, diminution de la
dépense en énergie, etc. Aussi, la restriction nécessaire pour y arriver entraine des
impacts psychologiques importants: obsession envers la nourriture, dysmorphie
corporelle, déprime, isolement social et diminution de l’estime de soi.
Est-ce une intervention bénéfique si non seulement son impact sur la santé n’est pas
prouvé hors de tout doute mais elle nuit en plus à la santé mentale? Prescrire une perte
de poids se fait facilement, mais la mettre en pratique n’est ni une mince affaire
(pardonnez le jeu de mots), ni sans dégâts.
Chez LauGau Nutrition, nous prenons en compte la santé mentale de nos patients tout
en les aidant à avoir des habitudes de vie propices à leur santé physique sans restriction
ni rigidité.
Références :
1. Hunger, J.M., Smith, J.P. and Tomiyama, A.J. (2020), An Evidence-Based
Rationale for Adopting Weight- Inclusive Health Policy. Social Issues and Policy
Review, 14: 73-107. doi:10.1111/sipr.12062
2. Mann T, Tomiyama AJ, Westling E, Lew AM, Samuels B, Chatman J. Medicare's
search for effective obesity treatments: diets are not the answer. Am Psychol.
2007;62(3): 220‐233. doi:10.1037/0003-066X.62.3.220
3. Mauldin K, May M, Clifford D. The consequences of a weight‐centric approach to
healthcare: a case for a paradigm shift in how clinicians address body weight.
Nutr Clin Pract. 2022;1‐16. doi:10.1002/ncp.10885
4. Tomiyama AJ, Ahlstrom B, Mann T. Long‐term effects of dieting: is weight loss
related to health? Soc Personal Psychol Compass. 2013;7(12):861‐877.
doi:10.1111/spc3.12076
Maude Martinez, Nutritionniste, Dt.P